Judy Endow, M. Serv. soc.
Titre original : “Sucking It Up” To Pass as Non-Autistic
English Translation at http://www.judyendow.com/autism-and-aging/sucking-it-up-to-pass-as-non-autistic/
Pour une personne autiste, paraître non-autiste exige un effort considérable, mais c’est aussi une condition préalable pour participer à de nombreux domaines d’activité sociale. En toute honnêteté, ce n’est pas juste. Mais je m’y plie et je choisis de dépenser beaucoup d’énergie pour cacher mes comportements autistes afin de me joindre à certaines sphères de la société. L’emploi est l’une de ces sphères. Comme tous les adultes, je dois payer les dépenses courantes, acheter de la nourriture, prévoir mes déplacements, et ainsi de suite. Et c’est pour moi un énorme défi.
J’ai passé la plus grande part de ma vie à essayer de comprendre le monde qui m’entoure et à trouver les moyens d’y participer – pour améliorer mon bien-être, élever mes enfants correctement, assurer mes revenus et maintenir quelques bonnes relations d’amitié. Ces efforts ont demandé de grands sacrifices personnels. Dans diverses parties de ma vie, j’ai dû et je dois encore me faire violence, endurer, faire semblant, m’oublier et jouer un rôle, simplement pour mériter un « billet de participation » à la société.
J’approche de la soixantaine; j’ai donc vécu ma vie différemment de celle des jeunes militants qui brandissent fièrement leur autisme et des petits enfants autistes d’aujourd’hui. J’ai passé une partie de mon enfance dans une institution. En effet, à l’époque, l’autisme n’était tout simplement pas un diagnostic que l’on posait. Au lieu de cela, j’ai reçu toute une liste d’autres étiquettes. L’établissement où j’étais institutionnalisée employait des méthodes de modification du comportement. J’ai appris à souffrir en silence pour acheter mon billet vers la liberté, soit ma libération d’un établissement de santé mentale. Si c’était à refaire… oui, je choisirais à nouveau de me faire violence et d’être quelqu’un que je ne suis pas, parce que le billet de sortie que je voulais obtenir était si important qu’il en valait entièrement la peine.
En tant que jeune adulte, j’ai échoué lors de ma première tentative d’obtenir un diplôme universitaire. Pendant trois ans, j’ai réussi à me faire violence et à agir de façon non autiste (bien qu’à l’époque, je n’avais jamais entendu parler de l’autisme), en agissant de façon étrangère à moi-même et en jouant le rôle d’une personne que je n’étais pas. Et cela a bien fonctionné pendant presque trois ans. Puis, j’ai appris que même si j’avais pu agir comme quelqu’un que je ne suis pas quotidiennement pendant trois ans, redevenir moi-même en une seule occasion a réduire à néant tous ces efforts. Et si c’était à refaire… oui, je choisirais encore une fois de me faire violence et d’être quelqu’un que je ne suis pas, car le billet de participation que je visais à obtenir était si important qu’il méritait que j’y investisse toute mon énergie.
Plus tard au cours de ma vie adulte, une seconde tentative m’a permis d’obtenir mon diplôme universitaire. J’avais alors vingt ans d’expérience de plus sur la façon de souffrir en silence. Mais je savais aussi que ma capacité à faire semblant et à cacher mes traits autistes pour qu’on me permette de finir mon cours universitaire était limitée… J’ai donc exécuté mon programme à toute vitesse, en prenant le maximum de cours à chaque trimestre. J’ai achevé un programme de premier cycle de quatre ans en trois ans, puis un programme de deuxième cycle de deux ans en une année complète. Pour moi, l’apprentissage n’était aucunement un problème : c’était la façon dont les autres me percevaient qui me causait des difficultés. Ainsi, moins j’étais en contact avec un groupe de personnes, plus je réussissais à ne pas attirer l’attention sur moi et à ne pas me mettre à dos mes professeurs et mes collègues. Si c’était à refaire… oui, je choisirais encore une fois de me faire violence et de jouer ce rôle difficile, parce que le billet que je voulais obtenir était assez important pour que j’y investisse de grands efforts.
Dans ma vie professionnelle, j’ai été capable de me faire violence et d’être quelqu’un que je ne suis pas afin de continuer à gagner un revenu suffisant pour subvenir aux besoins de mes enfants. C’était épuisant. Pourtant, si c’était à refaire… oui, je choisirais encore de faire semblant et de souffrir en silence, parce que le billet que je voulais obtenir était essentiel et valait la peine que j’y applique toutes mes capacités : en effet, je voulais être libre d’élever mes enfants sans que d’autres viennent décider à ma place que j’en étais incapable. Et croyez-moi, ces « autres » étaient très présents dans ma vie, surtout parce qu’un de mes enfants avait des besoins particuliers. Une de ces personnes, qui avait autorité sur moi, m’a déclaré que tant que je garderais mon travail, je serais considérée comme étant capable de m’occuper de mes enfants. Donc oui, mille fois oui… si c’était à refaire, je choisirais encore de me faire violence et d’être quelqu’un que je ne suis pas, pour ne pas perdre le billet de participation qui m’a permis d’élever mes enfants. Ils sont grands maintenant, ont leur propre vie, et sont heureux et contents. Il ne fait aucun doute pour moi aujourd’hui que de me faire violence était un choix qui en valait la peine.
Aujourd’hui, j’ai le privilège d’avoir ma propre entreprise et de gagner ma vie de façon indépendante. Mais je ne m’en vante pas : en pratique, cela signifie surtout que je dois gérer mon horaire avec soin. J’ai réussi à établir une vie professionnelle composée d’une variété d’activités (consultation, écriture, art, conférences), dont l’ensemble me permet de payer mes dépenses et de bien vivre ma vie. Mon défi consiste surtout à organiser mon horaire de travail de façon à faire alterner les périodes que je passe à la maison (écriture, art, préparation des conférences) et les activités professionnelles à l’extérieur (consultations et conférences, y compris les déplacements). Une fois cet horaire établi, je dois m’appliquer à me faire violence dans une certaine mesure, afin que mes clients apprécient mon travail suffisamment pour me payer. Et je continue à le faire, parce que j’aime mon travail, mes voyages et ma vie en général, telle que je la vis aujourd’hui.
À l’occasion, de jeunes autistes me montrent du doigt et me blâment, m’accusant de faire semblant et de trahir ma vraie nature. On m’a dit que je m’arrangeais pour « passer sous le radar », donc que j’ai appris à agir faussement, à jouer le jeu, à prétendre que je ne suis pas autiste. À dire vrai, quand je me trouve dans une situation professionnelle, je dépense beaucoup d’énergie pour cacher ma vraie nature, mais cet effort est nécessaire pour que je puisse gagner ma vie. Est-ce que cette réalité me plaît? Pas du tout. Toutefois, je suis contente de pouvoir « passer sous le radar » au besoin, car ma vie s’est améliorée depuis que j’en suis capable et mes revenus sont plus stables qu’avant.
Certains argumenteront que tout le monde doit se faire violence de temps à autre. Après tout, on ne peut pas se comporter n’importe comment en public, il faut se retenir. Je suis d’accord avec cette prémisse. Cependant, pour les autistes, cet effort est si disproportionné qu’il empêche nombre d’entre nous d’obtenir et de garder un emploi. En effet, nombreux sont ceux qui ne réussissent tout simplement pas à faire semblant assez longtemps chaque jour pour gagner un revenu suffisant. Pour moi, cela signifie que je dois porter une très grande attention à l’organisation de mon horaire. Je dois aussi employer des méthodes de régulation sensorielle et me réserver de longues périodes de tranquillité afin d’être en forme et de pouvoir endurer de me faire violence quand je travaille à l’extérieur.
Je considère qu’avec ces efforts, j’ai réussi à optimiser mon existence. Mais j’espère qu’avec le temps, les jeunes autistes d’aujourd’hui pourront profiter d’un plus grand éventail de possibilités. J’espère surtout que les autistes seront de plus en plus libres d’être qui ils sont, en utilisant les outils et les méthodes de soutien dont ils ont besoin, sans que la société exige d’eux qu’ils cachent leur nature profonde à tous les instants. J’attends avec grand espoir le jour où tous les autistes pourront mener une bonne vie dans tout ce qu’elle peut avoir d’ordinaire, avec tous les avantages que la plupart des gens tiennent pour acquis – aller à l’école, être un membre à part entière de la collectivité, avoir un emploi satisfaisant et bien rémunéré et des relations interpersonnelles enrichissantes. Ce sont là les éléments d’une bonne vie. Et chaque personne devrait y avoir accès, sans qu’on exige de ceux d’entre nous qui composent des groupes marginalisés de la société qu’ils se fassent violence pour mériter leur billet de participation.
Translation/traduction: Marie Lauzon, C. Tran./trad. a. (Canada) marielauzon.com
BOOKS BY JUDY ENDOW
Endow, J. (2019). Autistically Thriving: Reading Comprehension, Conversational Engagement, and Living a Self-Determined Life Based on Autistic Neurology. Lancaster, PA: Judy Endow.
Endow, J. (2012). Learning the Hidden Curriculum: The Odyssey of One Autistic Adult. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Endow, J. (2006). Making Lemonade: Hints for Autism’s Helpers. Cambridge, WI: CBR Press.
Endow, J. (2013). Painted Words: Aspects of Autism Translated. Cambridge, WI: CBR Press.
Endow, J. (2009). Paper Words: Discovering and Living With My Autism. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Endow, J. (2009). Outsmarting Explosive Behavior: A Visual System of Support and Intervention for Individuals With Autism Spectrum Disorders. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Endow, J. (2010). Practical Solutions for Stabilizing Students With Classic Autism to Be Ready to Learn: Getting to Go. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Myles, B. S., Endow, J., & Mayfield, M. (2013). The Hidden Curriculum of Getting and Keeping a Job: Navigating the Social Landscape of Employment. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.