Judy Endow, M. Serv. soc.
Titre original : Don’t Define Me By My Deficits
English Translation at http://www.judyendow.com/advocacy/dont-define-me-by-my-deficits/
Lorsqu’une personne reçoit un diagnostic d’autisme, les gens qui l’entourent se mettent à évaluer ses lacunes. De fait, cette évaluation est nécessaire pour qu’un diagnostic d’autisme puisse être posé. Et ce diagnostic est essentiel pour obtenir du soutien et des services.
Cependant, même une fois le diagnostic posé, l’évaluation continue. Pendant leur développement, les enfants autistes sont évalués et jaugés de nombreuses fois et de différentes manières, et cela, pour d’excellentes raisons. En vue de recevoir l’aide et les services dont il a besoin, l’enfant ou l’adulte autiste doit être jugé « admissible ». Si un enfant autiste a besoin de soutien pour l’apprentissage, il doit répondre aux critères d’admissibilité qui lui permettront de recevoir un plan d’intervention – une forme de plan d’apprentissage personnalisé qui permet à l’enfant de se joindre au parcours scolaire et de le suivre jusqu’au bout, un droit qui lui appartient selon la loi.
Tout cela est bon et compréhensible. Ce qui est beaucoup moins bien et surtout incompréhensible, c’est d’utiliser uniquement la mesure de ces lacunes pour définir la personne autiste. Quand cela se produit, les autistes sont réduits à la somme de leurs déficiences et de leurs difficultés. Les lacunes, les déficits et les difficultés d’une personne autiste, quand ils sont évalués par rapport aux caractéristiques de leurs pairs non autistes, sont d’une importance cruciale pour le diagnostic et l’obtention de services éducatifs, médicaux et de soutien. Toutefois, ils sont loin de représenter à eux seuls l’ensemble de la personne autiste.
Cette distinction est essentielle. En effet, ce qui est nécessaire pour qu’une personne puisse obtenir un diagnostic et des services médicaux, éducatifs et de soutien adéquats est très différent de ce dont cette même personne a besoin pour vivre une vie riche de sens et productive.
Mais laissez-moi vous donner un exemple tiré de ma propre expérience : j’ai moi-même obtenu un diagnostic, ainsi que le soutien nécessaire pour gérer certains de mes dysfonctionnements et certaines de mes incapacités et difficultés à accomplir les activités de la vie quotidienne. Il n’est pas difficile de mesurer l’écart par rapport à la norme dans ces aspects de mon quotidien. Par contre, c’est aussi à cause de cette mesure que pendant presque toute ma vie, j’ai seulement pu comprendre qui je n’étais pas et ce que je ne pouvais pas faire.
« Il n’y a pas de méthode efficace pour mesurer ce qui fait que je suis moi, et par conséquent, ces traits de mon individualité ne sont jamais mesurés. En revanche, vous me mesurez en fonction des critères qui vous servent à vous définir vous-mêmes, et selon cette mesure, je suis défectueuse. » (Endow, 2013, p. 44)
Et pourtant, tout comme vous, je vis ma vie au quotidien selon ce que je peux faire, selon mes talents et mes goûts.
Dans ma vie adulte, ce que je peux faire est particulièrement important, parce que ce sont ces capacités qui m’ont permis de gagner ma vie. Aujourd’hui, il est beaucoup plus important pour moi de pouvoir écrire des livres, donner des conférences et diriger mon entreprise de consultation que d’avoir appris à parler très tard, d’avoir été placée en institution au cours de mon enfance ou d’avoir reçu un diagnostic d’autisme classique.
Ce qui compte aujourd’hui, ce sont mes habiletés et mes préférences : non seulement elles m’ont permis de fonder ma propre entreprise, mais c’est aussi sur elles que reposent mes amitiés, mes activités de loisir et mes centres d’intérêt. Mon travail, mes amitiés, mes loisirs et mes intérêts : tout se recoupe, et l’ensemble de cette toile d’interactions compose ma vie, qui est à la fois bien remplie et enrichissante.
L’autisme est mon diagnostic et de fait, il est si envahissant qu’on ne peut le distinguer ni le séparer de la personne que je suis. Par conséquent, non seulement je porte un diagnostic d’autisme, mais je suis aussi autiste dans mon identité. Mon diagnostic parle de qui je ne suis pas et de ce que je ne peux pas faire : il représente la mesure de mes limites, de mes déficits et de mes difficultés. Mon individualité, en tant que femme autiste, parle de qui je suis – un être humain qui est, qui peut et qui fait. Elle se mesure par la richesse de ma vie et par la façon dont je la mène en ce monde, à ma manière.
J’ai dû apprendre à déjouer les aspects difficiles de l’autisme pour arriver à me construire, en tant qu’autiste, une vie bien remplie. Cet apprentissage a duré plusieurs décennies. Aujourd’hui, ma vie se définit par qui je suis et par ce que je peux faire. Elle repose sur la qualité des relations bien réelles que je partage avec mes collègues, mes amis et ma famille. Aujourd’hui, j’ai encore des limites, des difficultés et des déficits, mais ceux-ci ne me définissent pas; ils m’informent. J’organise ma vie en conséquence, en m’assurant de disposer du soutien, des périodes de repos et des accommodements qui me permettent d’être qui je veux être. Aujourd’hui, je vis une vie bien remplie et riche de sens. Je suis satisfaite et heureuse. Et je suis toujours aussi autiste que je l’étais avant.
Voici le conseil que j’aimerais transmettre à chaque jeune autiste et que je recommande à tous ceux qui les aiment et les soutiennent : porte bien attention à qui tu es en tant qu’être humain. Au bout du compte, c’est ce qui sera important dans ta vie, bien plus que l’autisme. Les adultes qui encadrent les enfants autistes concentrent souvent leur attention exclusivement sur ce que ces enfants ne sont pas capables de faire, afin de les aider à améliorer ces aspects de leur vie. Avec cette approche, les enfants autistes grandissent en sachant qui ils ne sont pas. Ce n’est malheureusement pas une bonne base pour s’épanouir, car en tant qu’adultes, notre travail, nos amis et nos loisirs reposent sur qui nous sommes, ce que nous savons faire et ce qui nous rend heureux.
Par conséquent, il est crucial selon moi que nos enfants apprennent cette notion en grandissant. J’ai consacré la plus grande part de ma vie à faire cet apprentissage. En écrivant ces lignes, j’espère convaincre ceux et celles qui s’occupent activement d’enfants autistes de ne pas manquer à cette tâche : leur apprendre à savoir qui ils sont dans ce vaste monde. Un jour viendra où cette précieuse certitude leur sera plus utile que leur diagnostic d’autisme.
Translation/traduction: Marie Lauzon, C. Tran./trad. a. (Canada) marielauzon.com
RÉFÉRENCES
Endow, J. (2019). Autistically Thriving: Reading Comprehension, Conversational Engagement, and Living a Self-Determined Life Based on Autistic Neurology. Lancaster, PA: Judy Endow.
Endow, J. (2012). Learning the Hidden Curriculum: The Odyssey of One Autistic Adult. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Endow, J. (2006). Making Lemonade: Hints for Autism’s Helpers. Cambridge, WI: CBR Press.
Endow, J. (2013). Painted Words: Aspects of Autism Translated. Cambridge, WI: CBR Press.
Endow, J. (2009). Paper Words: Discovering and Living With My Autism. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Endow, J. (2009). Outsmarting Explosive Behavior: A Visual System of Support and Intervention for Individuals With Autism Spectrum Disorders. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Endow, J. (2010). Practical Solutions for Stabilizing Students With Classic Autism to Be Ready to Learn: Getting to Go. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Myles, B. S., Endow, J., & Mayfield, M. (2013). The Hidden Curriculum of Getting and Keeping a Job: Navigating the Social Landscape of Employment. Shawnee Mission, KS: AAPC Publishing.
Translation/traduction : Marie Lauzon, C. Trans./trad. a. (Canada)